André Vladimir Heiz, samedi 9 février 2013

Constance

J’arrive

Qu’en déplaise à certains, ce diary d’un nomade commence par « Ibis »

(ces oiseaux élancés qui avec leur bec recourbé avalent tout

dans un fond douteux, boueux et terreux).

Qu’en déplaise à moi-même : Le groupe Accor fit chanter une maid,

afin de faire descendre les culottes à Dominique Strauss-Kahn.

Gérard Depardieu veut les renfiler.

Je n’aimerais guère camper le rôle du directeur, une balance.

Le ridicule ne tue-t-il pas, l’Europe ?

 

 

L’Ibis à Constance (Konstanz am Bodensee) est brandnew et quite perfect.

Ce n’est pas dans mes mœurs de coincer les charmantes filles de service

dans les couloirs bien agencés ou devant une porte de douche.

La réception à l’Ibis de Constance est alerte au ton berceur des allemandes du sud.

Les filles impriment les documents dont vous avez besoin et vous les rendent sous chemise.

Marina, Danielle et Mandy : Elles m’ont permis de mettre leurs noms ici.

Elles connaissant le mien aussi. Il n’y a pas de secret. Le visage est sacré.

Le respect est une lois esthétique qui marie le « kalos » et l’« agathos »,

le beau et l’agréable comme mes amis grecques ont compris depuis des lustres.

 

 

Nostalgie d’une utopie

Les Ibis mettent à jour l’esprit et l’espoir d’une époque :

Ikea c’est la même rengaine. Laquelle ?

Simplicité reduced to the max, do-it-yourself aisance à l’appui : C’est moi qui suis je !

Accès sans fard, mais affirmé. Forme sans façade, mais conçue. On est tous et toutes pareils.

Comme les chambres qui se ressemblent d’un lieu à l’autre.

La valise quoi, le prototype, l’archétype du prêt-à-porter d’un nomade.

On ne retourne pas chez mamie où se feutrer dans son lit d’enfance,

une madeleine sous la langue comme Marcel Proust, mais Ibis s’en souvient.

Il n’y a plus de temps à perdre, ubiquité et simultanéité main dans la main.

Peut-être les grand-mères devraient-elles faire du marketing !

Je crois que c’est Philippe Stark qui a plié la complexité d’un hôtel à un coussin.

C’est le logo des Ibis. J’y suis.

 

 

Au seuil

J’entre et je sais à quoi m’en tenir. Un premier geste sans détour :

Glisser ma carte magnétique dans le boîtier. Et la lumière fut.

Première impression, toujours renouvelée et apprivoisée :

Les Ibis ne me couvrent pas de leur identité. J’ai la mienne,

assez lourde à porter pour faire face. Ça suffit.

Ce n’est ni bourgeois ni aristochat.

Les dernières ramifications du Bauhaus, revues et corrigées ?

[Notez que l’Allemagne de l’Est fit duré le rêve ;

la porcelaine de Zolnay en Hongrie frôlait l’idéal du pur.]

Les coloris se discutent, question de goût.

Manquerait qu’ils en rajoutent. Le repli monastique attise l’inspiration.

Et l’évasion. Les jolies filles et les beaux garçons sont au bar ou dans la rue.

Pas au mur ! Ascétique – peut-être – accueillant – sans doute, la chambre.

Non, il n’y a pas de minibar. Il faut faire « prost » ailleurs.

Par exemple au « Latinos » au centre de la ville (beim « Fischermarkt »)

où écrire et fumer sont de bon ton comme d’antan.

A côté de moi une fille qui lit les poèmes de Rainer Maria Rilke.

La réalité existe. Elle n’est pas sur votre ipad.

Elle est là. Je lui offre un verre.

 

Cache-cache

Ah, les placards, ces armoires où les vulgaires et pervers

cachent leur désir et leur déni, amassent leur lingots et leur linge sale.

Ici, tout est ouvert est transparent.

Étagères à disposition. Bien vu, bien fait. On voit tout.

Aujourd’hui on y trouve cinq chemises, quatre pulls et trois cravates. C’est peu.

Les fonctionnaires de Bruxelles peuvent passer sans souci, renifler et recenser tout.

Il faudra revoir les formulaires.

Le monde est au rating et au ranking.

C’est l’apothéose d’une démocratie participative,

camouflage dictatorial, cela s’entend :

Je fouine, je critique, je calcule, je juge, je dénonce, donc je suis.

Allons-y :

1. Dispositif de la chambre :

Correct, fonctionnel et conventionnel, sans surprise. C’est un plus.

2. Dispositif du rangement :

Parfait et imaginatif, facilités fonctionnelles, générosités accordées aux gestes.

3. Dispositif lumineux :

Presque parfait, hésitant entre privé et professionnel, cosy-ambiant et clinique.

Pas bossa-nova pour des écrivains comme moi.

4. Dispositif de travail

Contemporain. Nietzsche aurait souffert, Nathalie Sarraute écrivit au bistrot.

4. Literie

Pas mal, consistance et souplesse du matelas comme il faut.

[Héritage du design et de l’intelligence de nos amis suédois, norvégien, danois et finlandais.]

Couverture et coussins parfaits à l’usage quand je dors, quelque peu austère à l’œil.

5. Douche

À faire l’amour debout. Présences et fantasmes réunis.

[Est-ce une grand-mère qui fut conseillère du marketing ?]

6. Savon

Faussement écologiste, mais franchement apocalyptique –

la santé sans saveur qui fait mourir.

Le mot nature masque l’absence de toute culture.

7. Serviettes

Raides - écologistes – castratrices - sans sensation ou expérience

d’un corps humain.

[Traiter la trame textile pour lui donner une épaisseur et tendresse

relève de l’ingéniosité du design, toutes cultures confondues.

L’effet éponge a disparu partout, manque de peau.]

8. Rideaux et jalousies :

Imaginatifs et conceptuellement intelligents. Insistez sur la finition, Ibis !

9. En-cas

Je n’ai pas testé les propositions « boustifaille » aux Ibis ;

le petit déjeuner à l’Ibis de Constance est digne de quelques étoiles.

9. Dans l’ensemble

Qui descend régulièrement dans les Ibis comme moi, doit dignement reconnaître :

Ça marche, je marche, cela me fait marcher.

Le service, partout en Europe est exemplaire de tact,

d’attention et de « cela-va-de-soi ».

Quand on cultive le respect, la réponse est sans ambages.

Cela fait un tout comme un principe dont le cas unique est un exemple.

Une histoire de Design et d’Architecture comme une autre.

Qui veut faire mieux le fasse. Un projet de recherche ?

Sans passer par les plagiats sociologiques, socialistes, psychologiques.

A l’écoute de l’humain à nu.

Confidences sur un oreiller

Ce rating ou ranking est un « musement » comme Charles Sanders Peirce

appelait un « arrêt sur la pensée ». Un rite de passage à la forme,

un geste humble et humain qui fait accoucher

le résultat couvé par nos circonvolutions.

L’architecture, le design, le graphisme, les médias et les technologies

ne devraient jamais oublier qu’ils servent finalement à « quelque chose ».

Me prendre par la main, m’orienter, me guider, me faire entrer dans une chambre,

déposer mes bagages, m’asseoir confortablement, ne me heurter, ne penser à rien.

Ce « rien » est le secret. Les Ibis tentent d’y toucher, mine de rien.

Je veux d’être d’attaque, éveillé et curieux le lendemain,

en rencontrant « quelqu’un » qui – tel un résistant – fume, rit et pleure

et dit « quelque chose » d’intelligent qui me renverse,

sinon à chuchoter ou partager sur un coussin d’un Ibis.

Avant de m’en aller ou d’être arrêté pour ma folie. Je ne suis plus à l’abri de rien.

Je loge au 412, vue sur le Rhin à Constance où je me suis trouvé

dans une mêlée masquée pour le début du Carnaval bien orchestré

qui dit « A Dieu » à l’hiver et aux pesanteurs négatives.

On se déshabille ? Il faut réapprendre la nudité et la pudeur,

avant de dire ou de faire « quelque chose ». Vous me suivez ?

Tenez, je n’ai jamais fait l’amour dans un Ibis. J’apprends tous les jours.

Et vous au Sofitel ?

 

 

Je repars

Plus prosaïque, plus pratique et pragmatique :

En face de l’Ibis à Konstanz se trouve le restaurant « Seekuh ».

Le buffet à midi, « faites comme chez vous » est first class.

Murat – l’humour espiègle à toute épreuve –

et Lara Helena – un sourire qui aurait plu à Flaubert –

assument un service de premier ordre.

Une salle ample et moyenâgeuse est réservée

aux chevaliers ou cavaliers qui fument entre deux montées.

J’y suis. Le soleil perce et signe.

Le train est à 13 heures 3. Je vais à l’ECAL que j’aime.