André Vladimir Heiz, dimanche 1 juin 2014

Adrien Rovero - Matière de rêve

 

Une matière de rêve - dans l'atelier d'Adrien Rovero

 


1.Toute chose – dans tous les sens

Dès le premier ping, en entrant dans l’atelier du designer Adrien Rovero,

le pong prit le large en touchant l’avenir du doigt.

La partie ne fait que commencer,

puisqu’elle se place au cœur d’un projet,

un projet de recherche et de développement.

Le regard reste fixé sur un bout de matière.

Les mots n’ont qu’à s’en tenir,

afin d’explorer ses possibilités et ses conditions de traitement.

Nos échanges l’apprivoisent, la tournent dans tous les sens,

l’auscultent et la caressent sous les reflets de la lumière.

C’est à prendre ou à laisser, c’est à voir, à prévoir et à revoir.

La matière en question fera la vedette d’une carte blanche,

lors du prochain Design Saturday à Langenthal.

 

La matière en question ?

Adrien Rovero en fait le portrait ici

au travers d’images et d’un descriptif minutieux.

La question ? Voilà l’embrouille !

Aimeriez-vous vous asseoir pour y voir plus clair ?

 

La question est simple, la réponse aussi, encore faut-il

qu’il y ait un tabouret d’Adrien Rovero pour prendre place.

La réponse n’est donc pas la solution à un problème, loin de là.

La solution est à trouver par l’errance du faire.

La réponse n’est qu’un prétexte, un prélude au ça-voir-faire.

Oui ou non ? Les mots ont le jeu facile, vite fait, bien fait,

alors que la recherche d’une solution à un problème

dans le domaine du design prend du temps.

 

 

Les traces suivantes parlent du temps.

Elles remontent la filière et la genèse du travail d’Adrien Rovero.

Elles s’ouvrent sur les perspectives d’une matière première

qui au fur et à mesure va se former, s’informer et se transformer.

Pour devenir « quelque chose » au carrefour des objets et de l’espace-temps.

Passer d’une matière à une identité objectale,

passer des contours et des consistances d’un objet à l’espace,

ces allers et retours sont au cœur des préoccupations

du designer Adrien Rovero.

Faire la différence ! La phrase se cache derrière un arbre du paradis perdu,

auquel Adrien Rovero nous ouvre la porte.

 

2. Allumette, gentille allumette…

Lorsque nous prenons place sur le tabouret d’Adrien Rovero

ou sur une chaise, nous n’en parlons guère. L’intérêt est ailleurs.

Nous prenons place pour parler d’autres choses, un verre à la main :

« Ah, les femmes, les hommes, les enfants, les écoles, les chats, les chiens, l’amour. »

Parler Design sur une chaise d’atelier s’inspire de promesses et de perspectives,

cela veut dire : faire autrement, faire mieux, refaire le monde,

les utopies, les nostalgies dans le vent. Evidence du sujet.

Il ne manque pas d’amour.

 

Parler du Design d’Adrien Rovero implique de vouloir comprendre

les enjeux de ses désirs, les atouts de son savoir-faire.

Avant d’ouvrir la bouche et d’aligner des mots, il est tout de même souhaitable

de savoir de quoi on parle. Tenez, des projets d’Adrien Rovero à venir !

 

Avant de parler, ayons un type d’objet sous les yeux et sous la main,

afin de nous trouver face aux « secrets professionnels » d’Adrien Rovero.

Silence ! Ne dites rien avant d’avoir apprivoisé une allumette. Dans tous les sens.

La pointe des doigts est de bon conseil. Voilà un petit rien qui part en flamme.

Vite allumée, sitôt oubliée ?

 

 

Magie d’apprentissage. Cette petite allumette nous parle de forme et de fonction.

Elle ne cache pas sa taille, elle révèle la juste mesure des proportions à son échelle.

Elle nous avertit de la tenir du bon côté, voyons. Elle dirige le regard et le geste

dans l’espace-temps vers d’autres horizons.

Elle est si unique, précise et précieuse, pourtant il y en a tant d’autres

qui rêvent de lui succéder au fil des cigarettes qui partent en fumée.

Elle n’aspire pas à être plus que ce qu’elle est : un prototype, un archétype du Design.

Etincelle exemplaire, représentation d’un usage sans ambages.

 

 

Prendre distance pour en faire autre chose, voilà qui change tout.

En un tournemain vous renversez sa fonction initiale pour en faire un cure-dent.

Bien vu, bien joué. Maintenant vous la pointez vers les étoiles

pour évaluer la distance entre Vénus et la lune. Ce n’est pas la porte à côté.

Sous une pluie battante, quelques boîtes d’allumettes à l’appui,

vous passez un dimanche à construire votre château en Espagne.

A partir d’une seule allumette, une mine d'or.

En suivant ces exemples vous n’aurez peut-être pas la fougue et la flamme créatrice

d’Adrien Rovero, mais vous aurez une idée certaine de sa méthode,

ce chemin d’approcher l’univers des objets avec les environs qui les abritent.

 

3. Matière première : tout feu tout flamme

Beaucoup de mots à la mode comme transversalité, interdisciplinarité, durabilité

nous guettent au passage. Pour nous dire quoi au juste ?

Qu’un projet de recherche et de développement dans le domaine du Design

commence par une décision franche et une brochette d’aspects à respecter.

Décisions et aspects vont main dans la main. Concomitance !

En tant que Designer nous décidons des aspects que nous voulons retenir.

Par conséquent ceux-ci influent sensiblement sur les démarches à prévoir,

ballottées entre conditions et possibilités.

 

Nous pouvons nous tenir à une identité attitrée et acquise d’un tabouret

ou la déconstruire pour venir à sa fonction initiale.

L’objet s’intègre non seulement dans une série ou un ensemble circonscrit,

mais aussi dans un contexte usuel au quotidien.

L’objet se pose, s’impose, se dépose et s’expose. Il est placé, déplacé, remplacé.

Or, l’opportunité la plus privilégiée – à risques et périls –

est de partir d’une matière première. Une matière qui fait rêver,

une matière que nous tenons à plier à nos désirs de créateur.

En la regardant, en la tournant dans tous les sens, en retenant les informations

dont les doigts et la main entière sont imprégnés, l’imagination s’oriente petit à petit.

Elle se trouve encore dans « l’entre-deux » dont Maurice Merleau-Ponty parle si bien,

indécise entre une identité d’objets à venir

et des dimensions spatiotemporelles plus généreuses.

Toutes les audaces sont permises.

 

 

Dans l’atelier d’Adrien Rovero j’eus le privilège d’assister à cette première rencontre

avec une matière première qui le fascine, l’interpelle et lui lance ce défi inouï

dont tout créateur est aux aguets.

La matière lui parle, l’inspire et l’instruit. A commencer par des questions :

- Quelles sont les propriétés intrinsèques à cette belle matière ?

- Quelles sont les possibilités et conditions de son comportement,

ses limites et son potentiel ?

- Comment découvrir sa tendancialité et son influençabilité ?

- Comment se transforme-t-elle en changeant de points de vue dans l’espace ?

- Quel est l’effet de sens dès qu’elle est exposée à la lumière ?

- Comment mettre toutes les chances de son côté ?

Adrien Rovero échafaude une « fiche technique »

qui embrasse toutes les éventualités que sa matière première couve et comporte :

 

 

Cher André,

Aujourd'hui, j'ai croisé un étudiant qui m'avance comme concept un "agrandissement"

d'un objet comme concept et pilier fondateur de son idée.

Ceci m'a directement renvoyé à un de mes dadas et m'a ramené à la question:

qu'est-ce qui rend une modification d'échelle intéressante?

Je crois que c'est la surprise et la découverte

de nouvelles possibilités alors peu attendues…

Inattendues… pourquoi cette recherche de l'inattendu ?

Et comment le mesurer objectivement?

 

Je remplis la boîte à chaussure…

je parlerais si tu es d'accord de chapeaux (pour reprendre tes mots).

Je remplis donc le chapeau sans savoir quel lapin nous allons en sortir…

 

Nous avons parlé d'économie dans le design, je me suis posé la question suivante:

Un designer participe et possède des connaissances sur l'ensemble d'un produit,

pourquoi il ne participe pas à la dernière phase, la vente ?

Je m'explique, on joue un peu au marketing

en envisageant les possibilités de nouveaux produits.

On joue au chercheur en proposant et testant de nouvelles matières,

on joue aux ingénieurs en projetant d'autres façons de produire,

on joue aux artistes en donnant forme, on joue aux entrepreneurs

en investissant parfois dans des prototypes…

Pourquoi ne joue-t-on pas aux vendeurs en touchant une commission

lors de transaction particulière ?

Je précise: si on prenait une marge de vendeurs (50% et non 3%)

sur les produits dont la vente est initiée

par nos réseaux (site Internet… par exemple) :

je laisse ce propos mercantile de côté pour l'instant.

Je me sens plus préoccupé par d'autres choses.

 

Cette matière perforée donc, voyons venir !

Il s'agit d'une chose très simple, des pailles extrudées,

revêtues d'une fine couche de colle thermosensible.

Sous une température particulière cette fine pellicule fond et assemble le tout.

Tout simplement magique ! Mais terriblement sournois.

Sous l'érotisme quasi hypnotisant de ces blocs,

le regard fuit et a de la peine à se fixer sur une direction.

Tout a fait comme Narcisse.

Le fait de trancher ces blocs en feuilles tout simplement

multiplie les possibilités et autres rêveries.

Déployons-les d'une manière systématiques :

 

 

° De 1 à 3 mm: initialement coupée aussi fine pour démontrer la qualité de la colle,

la matière devient un textile, très souple dans tous les sens,

régulière, hyperlégère…

 

° De 3 à 5 mm: la flexibilité est toujours présente bien qu'hyperrésistante,

si recouverte de chaque côté par une feuille qui lie l'ensemble.

Il y a cependant un jeu de regard qui commence à devenir plus soutenu,

moins évident, moins précis… la matière se mystifie...

 

° De 5 à 10 mm: la sensation de résistance commence à se faire vraiment sentir,

la qualité constructive devient plus précise.

Le poids commence lui aussi à devenir présent en restant tout à fait léger.

Le visuel soutient le regard, on quitte la feuille pour la tranche.

 

° De 10 à 20 mm: On s'approche des épaisseurs utilisées pour le mobilier

et les matières respectives tel que le Mdf et aggloméré

(qu'on a tendance à trouver terriblement vulgaire

et sans énorme intérêt alors que massivement utilisé dans le secteur).

Il y a donc une première envie de surface plus définie des typologies plus claires,

mais se révèle alors son talon d'achille : sa fragilité !

Bien qu'incroyablement magnifique, elle est terriblement sensible et laisse rapidement

sur sa surface le passage du toucher et de la pression…

Elle a aussi tendance à accueillir toutes sortes de particules non désirées

qu'on appelle communément saleté et qui lui rend sa vie vulnérable.

 

° De 20 à 50 mm: A mi-chemin entre la tranche, la planche, et la masse,

son rapport matière/volume devient plus évident.

La quantité d'air qu'elle renferme se sent.

Les dimensions générales sont moins communes.

Peu inspirant pour moi dans ce moment… et pourquoi ?

Pourquoi, une matière nid d'abeille et moins inspirante en 50 mm qu'en 10 mm ?

Immédiatement, j'esquisse des principes d'assemblage, c'est donc cela :

elle a besoin d'une autre matière pour exister…

 

° De 50 à 100 mm: La dimension générale devient fondamentale,

sur un échantillon de 30 x 30 cm c'est étrange et c'est un bloc…

Sur une planche de 2000 x 100 cm cela devient une élément de construction.

(tu noteras la modification d'unités).

Par contre une chose apparaît : le bloc !

C'est une matière associée au nid d'abeille qui existe généralement en feuille

et dépasse rarement 50 mm. Il ne s'agit pas du tout de nid d'abeille

et le fait de commencer à voir un bloc devient alors : inattendu, enfin !

 

° De 10 cm à 50 cm: Il s'agit clairement d'un bloc,

on entrevoit alors tout un autre langage :

l'enlèvement de matière et non sa déformation.

On est sous le charme, mais un peu décontenancé face à cette masse.

Le poids se révèle. On ne parle plus de matériaux légers mais de matériaux lourds

(une fois de plus sans comparaison directe).

Plus de matière, plus de coûts, plus de possibilités d'abîmer sa surface…

Il y a aussi un sens clair qui ce révèle: la face (les trous) et les côtés (la longueur).

C'est la première fois que cette question commence à se poser:

quel est le sens le plus intéressant ?

La longueur composée de tous ces demi-cercles ressemble

à un goulu assemblage de boudin.

On y voit aussi des qualités d'isolation,

on y voit moins des qualités d'absorption de chocs

ou de direction d'air froid étonnement exploité.

Mais quels outils utiliser pour aborder cette douce matière ?

Nous sommes à l'origine de cette matière !

Rarement commercialisée telle quelle,

puisque vendue en tranche comme le jambon.

(j'ai lu récemment que l'appétit sexuel se comparaît a la nourriture consommée.

Est-ce que le design est gourmand ?

Existe-t-il une relation entre plats consommés et mobiliers utilisés?)

 

Je me rends compte que je dois contourner la séduction de cette matière

pour revenir a des considérations plus réalistes pour avancer sur le projet.

2 choses me semblent se clarifier:

- 1 : puisque ma matière est particulièrement sensible,

je me dirige vers une chose  qu'on peux difficilement toucher,

une typologie d'objets lumineux suspendus hors d'atteinte

qui exploitent doublement ses qualités visuelles, le regard et sa propagation de lumière.

Mais qu'en penses-tu ?

La tentation de la protéger sous verre est quand même là, je me dis,

je pourrais conserver ses propriétés structurelles

et l'habiller d'une peau transparente  pour la protéger ?

Tu vois comme je suis séduit !

En écrivant ces lignes, les réponses me semblent claires.

 

-2 : travailler sur une faible épaisseur.

Réfléchir à la plaque et à la déformation plutôt qu'à la sculpture.

Incroyable ? C'est une piste complexe, coûteuse et antinomique

par rapport à ses qualités.

Je crois que c'est cette recherche de l'inattendu

qui me pousse à travailler sur une grande épaisseur.

Qu'en penses-tu ? Ou placer le curseur, rationalité versus innovation ?

 

J'ai plusieurs fois discuté avec Jörg Boner sur ce sujet,

trop d'innovation dans un projet diffuse son point fort et complexifie sa réalité.

Savoir jouer avec ce qui existe, modifier sa logique

en restant réaliste est bien l'enjeu du design ?

J'ai eu récemment deux commentaires de fabricants:

le marché n'est pas prêt, c'est trop inattendu !

Est-ce une formule de politesse ?

(Bonsoir, je vous invite à déjeuner? Excusez-moi, je suis dans l'obligation de refuser,

je ne suis pas prêt à une telle demande, c'est trop inattendu…)….

 

 

Cher Adrien,

Un échantillon de cette matière qui t’interpelle depuis belle lurette m’accompagne.

Un aide-mémoire pour l’à-venir. Je l’ai sous les yeux et sous la main.

Je l’apprivoise et je l’expose à tous les sens. J’en fais connaissance avec doigté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La présence de cette « materia prima » dont j’imagine la « tendancialité »

qu’elle convoite, influe sur le regard que je porte sur tes travaux accomplis.

Cette matière me sert de « baguette d’interprétation »

qui pointe du doigt « ta façon de faire ».

Elle se trouve à côté de « Landscale » que je parcours.

 

Adrien Rovero : Landscale, publication MUDAC à l'occasion de son exposition.

 

 

Pour nous les designers et poètes, artisans et artistes,

le point de vue est essentiel : il fait l’attrait des choses,

il dessine, désigne et distingue un « état » de la chose.

D’où matière, « ce type de matière », « ta matière », voilà un sujet de rêve !

 

La matière attire mon attention sur les éléments qui se conforment à des ensembles,

Elle implique les modes de composition, d’assemblage et de construction habiles.

Mon regard s’arrête sur ces moments cruciaux où les entités se rencontrent,

se trouvent et se joignent pour faire un tout.

« H », la table, « Slash » et « Eclépens » prennent une autre tournure,

dès que le traitement, l’intégration et la liaison des matières jouent le première rôle.

Le regard est averti, le touché aux aguets. Ils respectent le point de vue, le tien.

 

[Les mots – dans ma bouche et sur la pointe de ma plume – ont le goût

d’une réalité sensuelle et d’une résistance qui insistent sur leur matérialité.

Je tente de la plier à mes désirs et mes objectifs.

Des mots – par un premier jet – j’en fais ce que je veux !

Cependant leur grain et leur texture me rappellent qu’ils ont littéralement mot à dire aussi.

La consistance, les proportions, les relations se nichent dans le sens même. Essence !

Parler matière ? Avec toi je vais m’y mettre – pour être à l’affût de ses secrets.]

 

La matière avec son comportement et ses qualités intrinsèques fait figure d’un tremplin.

Elle nous parle de conditions et possibilités.

Elle nous révèle sa nature substantielle et formelle.

Sa surface laisse sous-entendre des critères structurels en profondeur.

Elle nous intrigue et nous interroge :

Quoi en faire au juste ? Début prometteur !

L’imagination prend son envol pour atterrir dans la solidité de la matière.

Elle peut – en effet – prendre le dessus sur les idées, puisque c’est elle,

cette matière initiale qui devient source d’inspiration et d’intuition.

« Avoir de la suite dans les idées » : c’est la matière qui peut en être le déclic.

Pour les alchimistes – à bon escient – l’univers des matières

fut un foyer d’intelligences en veille à dénicher, à empoigner, à former et transformer.

Chercher et trouver la direction que les idées prennent à partir de la matière –

c’est là que le secret du design se niche, non ?

Qu’en penses-tu ?

 

La matière fait du chemin !

Voyons lequel – d’un jour à l’autre par le biais des expérimentations,

des éventualités, des errances et des manœuvres.

D’un dessin au dessein, d’une ébauche à la maquette :

passage oblige, afin que la matière prenne forme dans le sens voulu.

 

J’aime à éplucher des livres de cuisine,

me laisser séduire par des recettes inattendues.

Expérience acquise, elles reviennent « avant le coup » pour recommencer.

C’est à moi de mettre la main à la pâte.

 

Comment faire ?

A l’instant même du savoir-faire, tout se réunit d’un seul coup.

Coup de dé, coup de magie.

C’est un « penser-à » et un « faire-avec ».

Les compétences se mettent à l’œuvre, la sensibilité fait sens.

Comment faire monter la mayonnaise ?

On voit bien si elle prend ou non !

Ce sont les gestes et les interventions appropriées aux ingrédients

qui assurent le passage de l’intention à la réalisation.

 

Comment faire autrement ?

Comment provoquer et produire « l’inattendu » ?

 

Nos boîtes à chaussures se classent sous plusieurs approches –

j’y colle deux étiquettes :

A] L’une englobe l’attitude et la position du designer

qui se sert de l’outil fondateur : son point de vue

par exemple face à une matière ou face à ce que le marché demande et impose.

Osons les mots : système D comme designer et désir.

B] L’autre accueille les possibilités et les conditions

d’une application habile qui cherche à embrasser l’inattendu.

 

Les deux approches – menées en parallèle – font un tout,

puisque « la pratique » met les deux « formes de participation »

à contribution pour être dans le coup.

 

Les livres de cuisine mettent l’analyse au service d’une composition à venir.

La chronologie soutient la dramaturgie de l’acte créateur.

Réussir son coup, tout est là.

La mise en place sert d’inspiration.

Voir et apprivoiser « la chose »,

en l’occurrence ta matière première

nous sert de « prototype » pour enrichir nos boîtes à chaussures.

 

L’inattendu ou l’innovation commence par le regard.

« Cette chose si simple » change d’allure,

dès que le point de vue se déplace, se dynamise.

Il s’agit de l’effet « Alice au pays des merveilles ».

L’échelle en est le mot-clef. La promenade du regard en est le « prétexte »,

le « projet », les proportions et les dimensions s’ensuivent.

 

Le regard s’instruit par ce que j’appelle la « tendancialité ».

 

Elle se niche dans la matière même.

 

D’où tentations et tentatives !

 

A partir de ces éventualités des traitements s’envisagent.

 

L’imagination orientée voit donc venir « la chose »,

 

la chose dont elle rêve.

 

 

 

Cher Adrien,

Tu déclines – presque d’une façon exhaustive –

les tendancialités de ta matière première.

Il y a le pour et le contre.

L’évaluation successive fait partie du jeu.

Double jeu, puisque l’inattendu peut se trouver au cœur de la matière

- déformation et transformation à l’appui –

ou de ton côté : Tu abordes le projet là où tu ne t’y attends pas.

La sensibilité qui appelle la lumière ou l’épaisseur revue à contre-sens !

Ça promet !

 

Cette belle matière à partir de son essence

cherche son « statut », ses « formes et fonctions »

entre le petit et le grand, l’identité d’un objet

ou l’appartenance à l’espace.

C’est au passage de l’un à l’autre que l’inattendu te guette.

 

Comment faire le pont entre élément – entité – unité – ensemble ?

« Entre la tranche, la planche et la masse »

la fragilité – à première vue – semblerait poser problème.

La protéger, l’envelopper, l’habiller… question phare !

 

Lors de notre prochaine rencontre en Suisse,

j’aimerais illustrer la diversité des recettes possibles.

L’image doit se greffer sur l’imaginaire.

Je rêve d’une typologie de ta matière première

qui met en relation ton « point de vue »,

les possibilités d’intervention et de traitement.

Point par point, une chose après l’autre.

J’aimerais ramener « ta liste » aux gestes et aux regards qu’elle sous-entend.

L’ébauche de tes « briefings » m’incite à être « dans le coup » avec toi.

Rôle de rêve évidemment. Monsieur Lapin passe, il a tout son temps !

J’amènerai mon regard à la cuisine pour suivre le tien.

 

Hélas – les mots sont souvent en retard ou interviennent « après coup ».

L’inattendu – drainé par l’innovation – demande à être attrapé au vol et reconnu.

Souvent le regard l’éclipse ou l’efface,

puisqu’il attend à être réconforté par le connu,

soutenu par nos conventions, les us et coutumes.

Innover – question de point de vue.

Il faut livrer la confiance au saut périlleux,

notamment quand le marché trouillard s’y mêle.