André Vladimir Heiz, mercredi 12 juin 2013

Recherche-création

 

1. Voir faire

1.1. Faire ensemble

Enfin, je rends mon mémoire consacré aux mémoires à l'ECAL :

 

Avec des designers, des graphistes, des typographes, des photographes,

des magiciens de l’interaction et créateurs en nouveaux médias

j’eus la chance d’empoigner une véritable recherche fondamentale

consacrée « au sens de la théorie ». Une forme de la théorie qui s’implique et s’applique.

A l’ECAL, pendant une décennie, nous avons réinventé l’exercice du « mémoire »

imposé aux étudiants et étudiantes de troisième année, réforme de Bologne oblige.

 

Décidemment, nous ne pouvons réduire cette épreuve

à quelques interprétations hâtives ou commentaires hautains.

Nous devons trouver des accès à une réflexion joyeuse et intelligible

qui s’infiltre dans l’enchaînement typique des processus créateurs.

Du coup la théorie entre « en matière » - par la porte des artistes.

A l’atelier, au quotidien face aux décisions esthétiques et pragmatiques à prendre,

la vocation de la théorie est bel et bien de servir à « quelque chose ».

Le « solve et coagula », l’arcane de la méthode des alchimistes ou de la dialectique

déjoue malignement la dichotomie établie entre la pratique et la théorie

en dressant des ponts ou encore des passages « entre-deux ».

 

« Penser » qui précède le « faire » nous fait penser à des moments

qui nécessitent la réflexion.

Ou à des moments qui favorisent l’application des manœuvres avec entrain.  

Une analogie bienvenue l'illustre : Notre compétence de respirer s’anime de deux temps ::

L’inspiration et l’expiration. Perpetuum mobile d’une habile chronologie.

Théorie et pratique ? Prenons le chemin avec le souffle de nos projets créateurs.

L’un ne serait rien sans l’autre. D’où rythme du « ça-voir-faire ».

 

 

      Ça tient la route ? Ça veut dire quoi au juste ?

      A l'Ecal la pratique a le dernier mot.

      Angelo Benedetto, directeur de la filière Design Graphique,

      en fin professionnel de l'infographie, met le doigt sur les lacunes à combler.

1.2. Parler faire

La pratique ? La théorie ? La recherche ?

Parole, ma parole, vagues et divagations !

Parler de tout et de n’importe quoi : privilège des écoles d’art,

avantage du désir et des rêves révélés par l’atout des ébats et ébauches.

« Prévoir n’est pas expliquer », écrit René Thom.

Inventeur du théorème de la transversalité et des catastrophes,

cet éminent mathématicien passe aisément par la philosophie aux arts, aller et retour.

 

Cependant l’évasion des mots a ses limites.

A un moment donné ils doivent assumer le passage d’une contingence indécise

à « quelque chose » de palpable et d’essentiel.

Ils doivent parvenir à montrer du doigt ce qu’ils visent.

D’où embrayage – et débrayage –  d’un sens à prendre.

La théorie, par la voie de la recherche, convoite ce « quelque chose »,

afin de voir venir de quoi il s’agit.

Le flou artistique cède la place à la précision, incident érotique qui touche à tous les sens.

Parler aide à nous situer, à prendre position,

à circonscrire l’intérêt de nos champs et chantiers.

 

Que serait l’amour sans déclaration ?

Que serait l’amour sans gestes, sans signes, sans cinéma, sans objets symboliques

qui l’invoquent et l’évoquent, le représentent et l’illuminent ?

Notre amour doit forcément passer par là, passer à une déclaration

- quelle que soit sa forme, sa tonalité, sa preuve ou son symbole.

La théorie ne quitte ce passage des yeux,

puisqu’il s’agit d’un passage à la forme, à l’information, à la transformation.

L’amour telle une idée, une inspiration ou une intuition précède l’emprise de la forme.

Les formes ! Le pluriel est de mise, puisque nous disposons de plusieurs possibilités

d’envisager ce passage dont l’acte créateur s’impatiente.

De l’un à l’autre – le terme du passage insiste sur l’entre-deux

que Maurice Merleau-Ponty place au centre d’une « phénoménologie de la perception. »

Ce passage est « à faire »  – comme Walter Benjamin, flânant par les passages de Paris,   

l’entend dans son œuvre du même titre. Il est vécu comme une réalité physique,

en l’occurrence architecturale et urbaine pour Benjamin,

d’autre part comme une pont sensoriel et cognitif

qui se dresse entre les impressions et les expressions, la perception et la production.

 

1.3. Dans le coup

Qui fait un voyage se prépare. Une documentation arpente les terres lointaines,

lorgne vers les horizons où s’envoler et creuse les déserts à traverser.

Les bagages se plient au trajet imaginaire, avec ses hauts et ses bas à prévoir.

Les conseils sont de bon augure, les recommandations d’amateurs et de connaisseurs,

des trucs et des tuyaux s’avèrent fort utiles.

Initiation au passage par des éventualités et des évaluations au préalable,

nourries par un regard éminemment prospectif et théorique !

Après que les cimes sont atteintes, le périple achevé, les criques et les plages découvertes,

les souvenirs se mettent en scène.

Des récits et des racontars soutenus par la magie des images y reviennent

et embellissent les aventures. Un rapport de voyage fait le point.

 

La théorie prend son envol par la liberté et les décalages des voyages.

Au demeurant le voyage se fait en trois temps :

- Avant le coup il embrasse l’errance des imaginations et du rêve.

- Dans le coup il s’expose à la rencontre des réalités vues et visitées, vécues et assumées.

- Après coup il poétise et dramatise un parcours par tous ces supports médiatiques

qui le retracent à son image. Naissance de la poésie au passé simple.

Les souvenirs qui s’extasient et s’extériorisent se transmuent en preuves,

sous la main et sous les yeux, témoignages des enjeux créateurs :

traduire les expériences vécues en des formes lisibles et visibles, sensuelles et sensées.

La théorie s’en inspire : une attitude rétrospective et une curiosité prospective sont de mise.

Avant le coup, après le coup – lieu-dit des « mémoires »

qui mettent – à bon escient – le coup entre parenthèses pour mieux l’encadrer !

 

1.4. Faire parler

Le terme « mémoire » ne sied guère à l’exploration d’un chantier de travail comme le nôtre.

Sonder un terrain, échafauder les piliers d’une recherche personnelle

en vue d’une application pratique comportent une dimension prospective.

Pratiquer la théorie veut dire : se documenter, s’orienter, apprivoiser l’inconnu,

se méfier des on-dit, baliser le chemin par l’ouverture des possibilités

et les impératifs des conditions que médias et matières transportent.

D’où méthode à suivre.

 

« Méthode » est synonyme de chemin. Expérience passe science !

Tous les chemins mènent-ils à Rome ?

Si seulement ! – à moins que Rome soit notre destination de rêve.

Sinon il faut rebrousser chemin et retourner à la case de départ.

Nous devons supporter la résistance de la question sur-le-champ,

sans qu’une réponse immédiate nous permette de reprendre pied.

Trois pas en avant, deux pas en arrière – la théorie reprend son souffle.

 

En tant qu’artisans et artistes nous ne pouvons remplacer le faire par le dire.

Le dire – telle une esquisse ou encore une recette de cuisine – est un prélude.

Y revenir par la tendresse des traces de la parole et des images fait figure de postlude.

Sur le coup, virtuose du savoir en train de faire il nous appartient de parler

de la pluie et du beau temps, lorsque nos compétences ont atteint cette perfection

des performances qui assurent que les choses se font d’elles-mêmes.

Sans préoccupation aucune de l’égo. Les gestes maîtrisent le passage les yeux fermés !

Même pour l’artisan du verbe que je suis, agencer des sons et des mots relève du faire.

 

Ecrire n’est pas donné, c’est un fait, c’est à faire !

 

Or, la langue n’est rien d’autre qu’un système de références

avec ses unités et ses relations, ses règles et ses exceptions

qu’il faut manier et ajuster aux désirs poétiques et aux besoins pragmatiques

– une démarche de designer classique, voyons. Rebelote : passage !

Passer d’une impression à l’expression, d’une hypothèse à une synthèse

s’insère dans le courant de la langue. Sauter de la parole volatile et volubile

à l’écriture avec ses assises et ses racines : le coup de dé est lancé !

Stéphane Mallarmé, ce passeur averti par excellence l’évoque

jusque dans la disposition topographique de ses emphases et paraphrases.

 

Le rôle que les mots ont à camper au travers d’une esquisse de recherche est clair et net :

être dans le coup et marquer le passage.

Regarder – observer – dessiner – désigner – discerner – décrire – imaginer des alternatives –

étaler des hypothèses – évaluer les implications et les conséquences :

Le rituel de la recherche n’a pas de mystère.

Les mots et les images doivent pointer du doigt le centre de notre intérêt,

mobile de nos passions artistiques.

La langue peut nous jouer des tours quand elle se perd dans des généralités suspectes

ou quand elle nous fait croire que les choses existent telles quelles.

Notamment le singulier grammatical se résume à une idée erronée d’un archétype,

puisqu’en tant qu’artistes et artisans, poètes et bricoleurs nous sommes à l’affût de la singularité.

Nuance ! La découverte se cache dans la spécificité d’une occurrence qui fait la différence.

C’est par conséquent l’aspect décisif qui se détache du « quelconque ».

Le rêve ou l’inconscient caresse peut-être ce « singulier universel »

dont Jean-Paul Sartre parlait, « un singulier dans lequel la singularité se reconnaît », dirais-je.

 

 

1.5. Références

Il est un mythe intarissable comme quoi l’univers des objets et des images

s’opposerait à l’écho du verbe. Cette différence n’est pas une qualité en soi.

Les dichotomies font du chemin, le passage les intègre.

« Parler faire » peut facilement rimer avec Arts & Métiers,

lorsque des artistes et des designers prennent la parole dans leur sens.

Faut-il remonter au journal de Leonardo da Vinci,

feuilleter les réflexions d’un Malevitch ou Kandinsky pour le comprendre ?

Bruno Munari, Dieter Rams, Jean Prouvé, Jan Tschichold, Otl Aicher,

Max Bill, David Carsson ou John Maeda entre autres : théoricien ou praticien ?

Allez le voir pour le savoir, les lire pour le croire !

 

Ecrire passe à la forme, à l’éventail des formes. Notons à nouveau le pluriel – au passage.

Ecrire relève donc d’un acte créateur qui met dans la balance

les possibilités et les conditions des formes d’expression respectives.

Par le biais des mots et des images les « mémoires » se transforment

en « objets de représentation », des rapports appropriés aux champs et chantiers visités.

Ils ressemblent à des guides de voyage palpitants. Suivez-les !

Les designers, les graphistes, les typographes, les photographes

et les concepteurs en nouveaux médias n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent

et de vous montrer par quels chemins les images et les objets sont à prendre.

 

Leurs traces sont à votre disposition sur le site de l’ECAL.

 

www.ecal.ch

 

2. Faire voir

2.1. Passer au regard

Théoriser s’intègre au ça-voir-faire en un tournemain.

Théoriser – fidèle à sa souche étymologique – fait arrêt sur image et arrêt sur objet

en s’appuyant sur un regard qui est d’un soutien indéniable en d'un enrichissement certain.

Ce regard prolongé, critique s’il le faut, revient sur les faits accomplis

et accompagne scrupuleusement la genèse des choses.

Au passage d’une idée à sa réalisation il est de bon conseil.

Il s’instruit par le ça-voir et instruit le faire. Bien vu, bien fait. Vraiment ?

 

Sous la main et sous les yeux, sens dessus dessous, l’artisan et l’artiste suivent

l’évolution de leur œuvre, d’où manœuvres avisées et adaptées qui s’enchaînent.

Toucher à « quelque chose » demande des aptitudes et du doigté,

des approches sensorielles qui font avancer « les choses ».

 

La pratique s’inscrit dans une continuité logique. Continuer à faire.

- du pareil au même comme la transmission du savoir-faire le veut par tradition,

- faire autrement par le crédo inébranlable qui crie à l’innovation :

Peu importe !

Et si nous nous arrêtions un instant pour apprendre et comprendre, réfléchir et rêver ?

Cette interruption – une escale « entre-deux » –  n’est jamais anodine,

puisqu’à l’inverse de l’engouement pour la continuité,

la réflexion s’attarde sur l’image, sur l’objet, sur un signe, bref ce « quelque chose »

que le faire voit venir ! Comme la philosophe Hannah Arendt le rappelle :

« Penser peut faire mal » ! Penser à tout ce qui reste à faire et faire d’une autre matière.

Prendre conscience des aléas artistiques et artisanaux n’est pas « cool » :

Nous pouvons y laisser des plumes comme Icare ou être secoués par des vents glaciaux.

Théoriser met des alternatives en perspective auxquelles nous n'aurions jamais pensé.

Ce voyage-là peut nous réserver des surprises et des rencontres bouleversantes,

des sauts périlleux et des naufrages. C'est à prendre ou à laisser.

 

Au fil d’un projet créateur l’exploration et l’évaluation s’insèrent sans crier gare.

A moins que les doutes, le désarroi ou le désespoir ne prennent le dessus.

Un blocage impromptu, un légère fatigue ou un ras-le-bol nous renvoie au « penser »,

sans que le « faire » lui emboîte le pas. Barrage, cul-de-sac, arrêt imposé !

Faire de ce rejet – contrairement au projet – un atout, est un privilège de la théorie.

Remettre en question l’enchaînement des manœuvres, la suite de la logique,

prendre notre souffle pour voir mieux ce que nous entendons par ça-voir-faire,

c’est tout un art qui commence par l’aventure d'un voyage théorique.

 

 

2.2. Passer à la pratique de la théorie

Où la pratique héroïque est empressée d’atteindre son but

en trouvant une solution appropriée à une problématique, la théorie prend son temps.

L’urgence, ce défit de la pratique, facilite la décision à prendre,

puisque la réflexion et autres hésitations ne viennent pas troubler

l’immédiateté de l’enclenchement des processus.

Pourtant la théorie jouit de toutes ses éventualités, de toutes les audaces à imaginer.

La passion de la pratique égale la patience de la théorie.

Face à la tentation des hypothèses, la théorie déploie l’éventail des arguments

qui soutiennent les décisions. Pourquoi et comment ? C’est là le hic.

Les investigations et aventures des promenades théoriques servent à dénicher et à distinguer

les critères efficaces pour provoquer le déclic des décisions. Dans le bon sens.

Qui dit critères pense à la visibilité et la lisibilité, à l’intelligibilité et à la pertinence du propos

consacré à un chantier de recherche.

Avant tout les questions et les observations qui nous interpellent,

doivent être pertinentes et représentatives

pour les domaines respectifs et être au diapason d’une intrigue personnelle.

L'enquête qui s’inscrit dans notre autobiographie d’artiste et de passeur,

de facteur d’objets, d’images et de signes. Evidence !

Les formes d’expression appropriées, aux aguets d’une cohérence des arguments

servent l’efficacité et la crédibilité de la démonstration.

Faire voir à autrui ce que nous avons à dire et à montrer – le but est là.

Encore faut-il que la mission accomplie vise la transmission,

afin que l’autre qui découvre nos traces et ausculte nos enjeux esthétiques

puisse nous suivre. Notre recherche veut bien servir à « quelque chose » aussi !

 

 

2.3. Faire des recherches

Pour une recherche-création à laquelle la théorie prête main,

le pur constat ne peut suffire en lui-même. Notre œil a le sens large.

Les interprétations hasardeuses dont les sciences humaines abondent et raffolent

- hypostases ontologiques et brumes métaphysiques à la remorque –

ne peuvent se limiter à des vagues « d’impressions » qui abusent des objets et images,

des mots et des signes pour les réduire à un simple « prétexte » d’exégèse.

La rétrospective et le survol historisant ne peuvent couper les ailes au désir

de préparer l’avenir, de nous lancer à corps et cœur perdus dans le « presque rien »

dans le « pas encore », dans le « je ne sais quoi »

auxquels le philosophe Vladimir Jankélévitch nous encourage.

 

En nous fiant aux avances courageuses de Leonardo da Vinci,

il est judicieux de traiter les Arts et Métiers comme des « sciences dures ».

Où un biologiste traversera les étendues de l’Amazonie pour dénicher un spécimen rarissime

d’une variété de papillons, nous visitons des ateliers et consultons

toutes les références imaginables, afin de mettre la main sur un caractère de typographie,

apprivoiser une approche picturale, explorer des astuces iconologiques

ou analyser une construction savante d’un objet dont nous rêvons !

Une utopie prétentieuse ? Que nenni !

Denis Diderot –  révolutionnaire du verbe et de l’image – fit le tour de la France,

afin de comprendre comment « les choses » se créent, sous la main et sous les yeux.

Le passage d’une idée à une parfaite réalisation technologique et mécanique,

esthétique et pragmatique, affective et effective peut être montré et dit.

Se « faire une idée du monde » revient à jumeler les mots avec des occurrences existantes.

Insuffler du sens à l’abstraction du monde au singulier

passe par la découverte de ses « singularités » concrètes.

Avec un équipe soudée de graveurs, d’artisans et d’artistes, de philosophes et de poètes

Denis Diderot transforma sa « vue d’ensemble » en une encyclopédie époustouflante,

prototype d’un objet de représentation et de référence.

Expérimentation épaulée par l’expérience, corpus incorporé par un média exemplaire,

champs et chantiers illustrés par des images et commentés par des textes édifiants –

l’archétype d’un rapport de recherche est né. Il suffit de le voir pour le croire.

 

 

2.4. Ça-voir-faire : tout est dit.

Le ça distingue ce « quelque chose » à faire ; le voir insiste sur l’impact de la perception

qui précède le passage à la production.

Le faire est secondé par l’ensemble des compétences artistiques et techniques

qui prennent le passage décisif en charge. Le chantier est ouvert.

Reste à trouver une boîte d’outils et des méthodes fiables et viables

qui nous encouragent à nous mettre au travail. Et c’est parti.

Les designers, les graphistes, les typographes, les photographes

et les concepteurs en nouveaux médias délimitent leurs champs et leurs chantiers

en optant pour une question brûlante mise en relief par des exemples et des observations.

Comme pour les sciences précises – ou un jeu avec ses règles et exceptions –  

des centres d’intérêt se dessinent. L’accès à la pratique de la théorie peut se faire

par un détail en filigrane ou par des enjeux qui caractérisent un domaine.

Un exemple ? Tenez :

- Les poignées de porte peuvent amener le designer, la designeuse à s’attarder

sur une forme avec ses fonctions déterminées.

- Ce point de départ s’ouvre sur les gestes et nos habitudes face aux objets

que nous employons quotidiennement - sans y réfléchir d’ailleurs.

- Des codes visuels ou des conventions iconologiques peuvent pousser les graphistes,

les photographes et médiateurs à analyser les implications et les conséquences rhétoriques

qui débauchent sur des effets de sens et des modes de perception.

Tout est possible ! A moins que les questions poignantes trouvent des exemples

et des (proto)types représentatifs à l'appui.

Dans la volée des sujets qui nous interpellent et nous habitent,

nous retrouvons des constantes et des variables qui se déclinent comme suit :

 

 

- « Moi, je ! » Embarquement immédiat par une position personnelle à circonscrire.

Quel est le rôle que nous avons à jouer en tant qu’artiste, artisan, designer ou concepteur ?

Quelles sont les compétences et les connaissances à acquérir et cultiver ?

Quelles sont les interventions et applications auxquelles nous songeons ?

Comment réconcilier idéalité et réalité ?

Que faire au juste ? Pourquoi et comment ?

- La matière, son comportement et son traitement, sa tendancialité et son influençabilité

font l’objet d’une enquête, études de cas et exemples à portée de la main.

Où le designer peut poser une matière véritable sur la table,

le et la typographe avanceront une substance d’expression

qui manifeste des résistances et subtilités réelles aussi.

- La matière première comme point de départ donne lieu à une ribambelle

d’expérimentations ou d’analyses.

Ces enquêtes cherchent à mettre le doigt sur les implications et conséquences

que la matière subit par une application concrète.

Des prototypes dans leurs contextes respectifs en font la preuve.

- Toutes les recherches fondamentales peuvent nous inviter à faire un voyage

au bout de la limite. Limite du passage, limite de la matière et de la substance d’expression –

cela veut dire aussi : limite de la lettre dans sa consistance et avec ses contours,

limite de l’image et de l’imagination, limite des codes et des conventions,

limite de l’interprétation. Limites ! Et maintenant ? Transgression !

Faire bouger « les choses » pour les former, les informer et les transformer à notre guise.

Tentations et tentatives vont main dans la main.

- Lorsque les designers sont interpelés par la forme et la fonction attribuée à un type d’objet,

les graphistes s’interrogent sur le statut des signes et des images avec leurs effets de sens.

Dans leurs contextes et corps respectifs : les livres, les magazines, les supports d’information

et de communication. Le terme de l'impression retourne à son sens premier !

- Passer d’une idée à une esquisse, d’un dessin à une maquette ou une poupée,

faire le pont entre un archétype et un prototype,

sauter d’un cas unique à la production en série :

Les méthodes de développement d’un projet qui revient au déclic du passage, 

donnent du fil à retordre. Savoir-faire, savoir-faire comment, savoir-faire pourquoi,

savoir-faire autrement – nombre d’études s'attarde sur ce chemin

qui nous permet de nous approprier et d'approfondir nos compétences.

- Au carrefour de la structure profonde et de la structure de surface,

là où les algorithmes se glissent entre les prouesses de la technologie

et les résonances esthétiques, les fervents de nouveaux médias sont au rendez-vous.

Ils se trouvent sciemment et artistiquement « entre-deux » :

entre la singularité de l’individu et les interférences des communautés.

Avec leurs sensibilités synesthétiques ils orchestrent voix et voies du sens.

- Revisiter les traces du passé avec ce goût de miel nostalgique n’est qu’un tremplin :

Evolutions et révélations préparent les terrains de demain. Déconstruction ? Reconstruction !

- Culture ? Culture du regard, culture du ça-voir-faire, culture des identités et différences.

La culture comme des archives, la culture comme des promesses !

Aller voir ailleurs pour comprendre ce que cela signifie d’être ici :

Artiste ? Designer ? Art Director ? Médiateur ? Photographe ? Typographe ?

 

 

2.5. Marquer le coup

Marquer la perception par une présence remarquée, des objets et médias remarquables,

il y a du travail sur la table « des matières », comme suit :

Attention présence !  De quoi s’agit-il. Où est le hic ?

- Quelle est la question à laquelle nous tenons à répondre ?

- Quel est le problème que nous aimerions résoudre ?

- Quels sont les thèmes qui nous préoccupent

depuis que nous avons pris un crayon à la main ?

Attention intention !

- Quel est le désir qui précède ce que nous avons sous la main et sous les yeux ?

- Les objets et les signes, arrivent-ils à transporter et transmettre ce désir ?

- Comment et pourquoi ?

Attention intensité !

- Pourquoi un objet, un livre, une image, un signe nous intriguent, nous plaisent ?

Contrairement à d’autres qui nous laissent sauvagement indifférents ? Etrange – non ?

Il est des choses qui nous passent sous le nez, d’autres qui nous hantent et poursuivent.

C’est là, à ce moment même que la recherche prend son envol et toute son ampleur !

Attention récupération 

A chaque instant nous sommes confrontés à des systèmes de représentation

avec leurs catégories et leurs œillères. Le design ? Le graphisme ? La communication ?

L’intégration par voie d’interprétation doit résister à toutes les sottises galvaudées

pour sauvegarder et défendre la singularité de l’occurrence - la nôtre !

Attention intégration et usage !

Us et coutumes se nichent dans notre façon de voir les choses et de nous en servir.

Servir à « quelque chose », c’était là le but mis en exergue au début de cet essai.

Nous sommes arrivés au bout. On recommence ? Non ?

La négation est une baguette magique qui sert l'inspiration et l'intuition :

Ne plus vouloir faire ! En avoir ras-le-bol. Ne pas faire, ne plus jamais faire ça !

Faire quoi à la place ? N'en faisons-nous pas trop, trop de ces choses ?

La théorie ouvre des fenêtres.

De temps en temps nous devons nous perdre pour nous trouver.

 

 

Où les adeptes du métadiscours implorent et évoquent des profondeurs insoupçonnées

et des horizons lointains, je me fie modestement au souffle du temps.

Il nous offre des plages et des pages scandées par ces intervalles

de méditation et de médiation propices à attraper ce « quelque chose » au vol

pour le scruter, le flairer, le comprendre, l'assimiler et l'intègrer au moi.

Les échanges avec toutes ces Ecaliennes et tous ces Ecaliens m’ont tenu en haleine.

Je les remercie toutes et tous par l’écho de ce « mémoire » que je leur soumets.

Lorsque la curiosité, l'insistance et la persistance tissent le fil conducteur

de la connaissance et du ça-voir-faire,

arts en sciences se rencontrent pour faire d'un tout un nous.

 

D’une année à l’autre, ce fut du pareil au même, mais pas tout à fait.

D’où différence ! Les choses évoluent et avec elles la précision du regard,

l’usage de la parole et l’apport des images. Le passage arraché à sa clandestinité

par le guide éclairé de la théorie se fait entre aimer faire et faire aimer.

Le dire est simple quand la parole y touche. Le faire ? C’est toute une histoire !

 

Pour aborder les "mémoires" j'ai proposé des briefings : Mémoire I / Mémoire II

Pour la Recherche-création j'ai rédigé un "musement"

comme disait Charles Sanders Peirce, un théoricien passionné des signes.

 

Epaulé par Jonas Berthod pour les graphistes, l'année dernière de mon passage à l'ECAL,

je le remercie d'une main à l'œil.